Le Centre marocain « Al Hasaniya », basé à Londres, vient de publier l’ouvrage « Briser la violence silencieuse ». Dans cet entretien, Souad TALSI, fondatrice du Centre, membre du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) et militante associative auprès des femmes marocaines en Grande-Bretagne nous explique les raisons de ce livre et nous livre le vécu et le quotidien des femmes en détresse qui s’adressent à son association.
Le Centre marocain « Al Hasaniya » vient de publier un ouvrage « Briser la violence silencieuse ». Quelles sont les raisons de ce livre ?
Souad TALSI : Effectivement, le livre « Briser la violence silencieuse » est en fait un témoignage sur les millions de femmes victimes de violence, à travers le monde, qui continuent à vivre ce calvaire dans le silence, souvent sans aucun moyen d’obtenir de l’aide ou même du soutien. Selon les Nations Unies, plus de 243 millions de femmes ont subi des violences au cours de la dernière année de la pandémie. Ce livre est basé sur de vraies figures de femmes qui ont attiré notre attention pour une aide et un soutien appropriés. Certaines femmes se sont présentées seules mais la grande majorité nous ont été amenées par la police et le système judiciaire. En tant que petite ONG à Londres – Royaume-Uni, nous avons reçu plus de 5477 appels au cours de la première année de la pandémie et traité plus de 500 cas réels de violence domestique. Un nombre stupéfiant à tous égards.

Les chiffres et données sur la violence auprès des femmes marocaines en Grande-Bretagne sont si alarmants. Quelles sont les formes de violences les plus fréquentes ?
Souad TALSI : Il faut rappeler que les violences faites aux femmes sont présentes dans toutes les sociétés, et toutes les filles et les femmes y sont potentiellement exposées. Les formes les plus fréquentes de violences sont en premier lieu ´les violences domestiques et conjugales . La violence domestique est souvent un crime caché qui n’est pas signalé à la police. Par conséquent, les données détenues par la police ne peuvent fournir qu’une image partielle du niveau réel de violence domestique subie. De nombreux cas n’entreront pas dans le processus de justice pénale car ils ne sont pas signalés à la police. Il y a aussi les violences faites aux femmes issues de minorités ethniques qui n’ont pas les mêmes attentes culturelles lorsqu’elles subissent des abus et continuent de souffrir en silence. Et pour moi, cela sonne vraiment l’alarme, car nous savons que ces femmes n’ont pas les mêmes attentes culturelles.Elles souffrent en silence pour une multitude de raisons, le statut d’immigration, le manque de maîtrise de la langue, le manque de ressources, la peur de perdre leurs enfants et l’ignorance générale de leurs droits au sein de la société britannique. Tout cela contribue à faire de la violence domestique une pandémie sous la pandémie de Covid. Une autre catégorie est composée de sexagénaires qui ont subi tous types de violences au cours de leur existence et ont résisté pour rester avec leurs enfants et les élever.

Pandémie et crise sanitaire bien évidemment n’ont pas arrangé les choses, quelles formes de soutien le centre « Al Hasaniya » a apporté aux femmes violentées ?
Souad TALSI :Au cours des trois premiers mois de la pandémie, nous avons prédit que les chiffres augmenteraient, mais nous ne nous attendions pas à ce qu’ils soient si élevés. De mars 2020 à juillet 2020, nous avons traité plus de 234 cas à eux seuls, dépassant malheureusement toutes les attentes.Certaines ONG au Royaume-Uni, comme le National Women’s refuge au Royaume-Uni, ont enregistré une augmentation stupéfiante de 60 % des appels. Le centre « Al Hasaniya » a été créé en 1985 pour aider les femmes migrantes marocaines. Il est, depuis, devenu un centre avec plus de 20 membres permanents au service à la fois de la communauté marocaine et des femmes arabophones. La violence domestique est une caractéristique importante de notre travail et la recommandation des bailleurs de fonds est donc de voir et de soutenir pas moins de 143 cas par an. Pour les personnes âgées et isolées ,le Centre propose des activités sociales, un club de déjeuner et un plaidoyer en guise de soutien, en veillant à leur assurer une prise en charge.Le Centre accueille un nouveau type de femmes depuis le début de la pandémie, venant principalement d’Espagne et d’Italie. Nous essayons d’apporter notre assistance à ces familles pour scolariser leurs enfants, les inscrire à la sécurité sociale, se loger, trouver un emploi et généralement apprendre à se frayer un chemin dans le système de vie britannique. Le Centre vient aussi en aide à cette nouvelle vague d’immigration du Maroc vers l’Angleterre.Ce sont des femmes qui rencontrent leurs partenaires sur les réseaux sociaux et se marient avec eux. Beaucoup d’entre elles subissent des violences conjugales lorsqu’elles vivent avec leurs maris en Angleterre. Le processus de réintégration prend entre 12 et 18 mois avant qu’une victime ne puisse vivre de manière indépendante ».
Vous lancez l’appel suivant :Le gouvernement marocain a un devoir de diligence pour soutenir notre travail et le reconnaître , pouvez-vous nous dire un peu plus ?
Souad TALSI : 10% de la population marocaine réside à l’étranger et 50% ce sont des femmes, qui sont non seulement mères ou filles mais aussi employées dans tous les secteurs et qui contribuent grandement à la richesse du notre pays. Alors que la banque mondiale prévoyait pour la dernière fois une baisse de 15% des envois de fonds à travers le monde en raison de la pandémie, la communauté marocaine a dépassé toutes les attentes et a augmenté ses transferts de 8%. 2022, on s’attend à ce que plus de 10 milliards de dollars soient l’objectif atteint.Il est étonnant que non seulement nous n’avons pas de ministère qui s’occupe spécifiquement de nos affaires, mais qu’à ce jour aucune politique claire à cet égard ne semble venir du ministère de M. Borita ou même du gouvernement Akhannouch. Nous exigeons d’être traités avec dignité et respect, ce qui signifie investir dans notre bien-être et notre protection. Notre centre reste une lueur d’espoir pour celles qui ont un visa de conjoint et subissent des abus et des violences inimaginables. Des ressources DOIVENT être sécurisées pour soutenir la femme marocaine migrante dans le besoin. C’est notre devoir, c’est leur devoir

A cet effet, au nom des femmes que nous servons, je souhaite adresser mes sincères remerciements au Dr Abdellah Boussouf, Secrétaire général du CCME pour son soutien indéfectible au travail que nous accomplissons. En effet, le livre « Briser la violence silencieuse » n’aurait pas vu le jour, sans son soutien et son engagement dans notre travail.