A l’occasion de la visite au Maroc de la Directrice exécutive d’Oxfam International, Mme Winnie Byanyima, Oxfam au Maroc a organisé un événement dans le cadre de la campagne BARAKA ! Ensemble contre les violences, à l’Institut Cervantès de Rabat. Le webzine Actuelles a profité de la présence de Mme Winnie Byanyima et à réaliser un entretien avec cette militante et défenseure chevronnée de droits humains et droits des femmes.
Actuelles : Pourquoi selon vous, les chiffres concernant les violences l’égard des femmes à travers le monde sont en recrudescence ?
Winnie Byanyima : Malgré les efforts accrus ces dernières années à l’égard des violences faites aux femmes et aux filles, ces violences restent inacceptables, il y a encore beaucoup de travail à faire. Il faut savoir que selon tous les rapports ou études publiés par les gouvernements, organismes internationaux ou associations de droits de femmes, toutes les femmes , victimes de violences sont commises par leur partenaire, ou conjoint ou au sein de la famille, les enfants sont aussi directement exposés ou victimes de cette violence. Oui les chiffres font mal,sans parler des situations qui passent sous silence. Selon l’OMS dans le monde, entre 100 et 140 millions de jeunes filles et femmes ont subi des mutilations génitales, environ 70 millions de filles ont été mariées avant leurs 18 ans, souvent contre leur gré et 7% des femmes risquent d’être victimes d’un viol dans leur vie. Outre les violences conjugales, il parler du harcèlement sexuel au travail, des attouchements, des viols, des violences verbales, injures, menaces, humiliations, les violences dites économiques ou administratives comme l’interdiction de travailler, la privation de ressources. Pourquoi, la violence à l’égard des femmes est toujours présente ? Tout simplement, elle est justifiable par les nombreuses pratiques traditionnelles qui sont toujours enracinées dans l’inégalité entre les hommes et les femmes, comme le mariage forcé des jeunes filles, les mutilations génitales féminines, et l’acceptation des femmes même de cette violence, le silence, la non dénonciation ;les tabous. Mais aussi par manque de formation des autorités, notamment des policiers, des juges la non application des lois, et l’impunité .Vous savez, rien ne justifie la violence, ne serait- ce qu’une Seule femme, qu’une Seule fille ne doit figurer dans ces statistiques.
Actuelles : Toutes ces lois adoptées, toutes ces campagnes de sensibilisation, toutes ces journées de mobilisation, pour éliminer toutes violences, finalement n’auront servi à rien?
Winnie Byanyima : Faut-il pour autant arrêter ! Non je ne pense pas. Le combat doit continuer plus que jamais, il ne faut rien lâcher tant que les droits des femmes sont menacés. Il faut mener la bataille pour le futur. Tant qu’il n’y aura pas une loi qui criminalise la violence conjugale, nous allons encore assister à des drames similaires. Et lorsqu’on élabore des lois sans mettre en place les mécanismes de leur application, ces lois ne servent dès lors à rien. Toutes les pratiques socio-culturelles et toute sorte de discrimination à l’égard de la jeune fille et de la femme sont à bannir. Puisque la société est faite par des hommes et des femmes, l’injustice sociale n’a plus sa place dans les actions favorisant le développement. Il faut valoriser le travail et le combat que mènent toutes les associations et autres à travers le monde. Il ne faut pas hésiter à aucun moment à élever la voix pour se faire entendre. Il faut continuer à retenir ces dates et ces RDV, pour manifester, se rassembler et s’exprimer pour dénoncer les violences et les régressions des droits des femmes. Regardez cette grande marche des femmes et hommes aussi, à Washington, Des milliers de personnes en colère se sont rassemblées pour crier gare, manifester contre les dérapages sexistes du Président américain Donald Trump. Cette marche a dépassé les frontières, on a marché à Sidney, à Paris pour dire STOP à l’homme le plus fort du monde, car pour ces personnes, on ne badine pas avec les droits des femmes.
Actuelles : On sait que les violences faites aux femmes ne s’arrêteront pas en un jour, d’après vous et votre expérience, la vraie bataille doit être menée où?
Winnie Byanyima : Avant tout, Il faut que chaque femme victime de violence, sache qu’elle n’est aucunement responsable et ceci c’est le travail des associations de femmes .Lutter contre les stéréotypes, se mobiliser et mener des campagnes pour déconstruire ces stéréotypes qui sont le terreau de violence faites aux femmes. Il faut « harceler « et convaincre les décideurs politiques et maintenir la pression sur les décisions politiques. .Il faut développer ce militantisme sur les réseaux sociaux ,en plus des medias classiques ,par des actions spectaculaires, mobiliser artistes, peintres, écrivains , personnes influentes .L’Etat devrait travailler encore plus pour le renforcement des lois juridiques et le renforcement du dispositif de protection des femmes victimes de violences. Dès le plus jeune âge, apprenons aux enfants, le respect de l’autre, et du corps de l’autre. Leur inculquer la promotion de l’égalité, des comportements non-violents et la non-stigmatisation, le non-sexisme. L’Etat doit œuvrer par la mise en place de lois préventives s’appuyant sur la santé, la sécurité, l’éducation et la justice, de faire évoluer les mentalités. Les centres d’hébergement réservés aux femmes agressées, doivent être parmi les objectifs fixés par l’Etat dans sa lutte contre les violences. Il faut continuer à donner des moyens aux associations qui accompagnent les femmes en détresse et développer des centres pour les accueillir, au moment où les financements se font de moins en moins alors que de plus en plus de femmes sont menacées et que certaines associations sont menacées de fermeture. On ne peut lutter efficacement contre cette violence si nous n’avons pas de moyens suffisants. L’Etat devrait financer davantage ces organismes qui mènent le combat contre la violence à l’égard des femmes.
Actuelles : Un dernier mot Mme Winnie Byanyima ?
Winnie Byanyima: Ma grande admiration à toutes ces associations de défense des droits et toutes les organisations féminines, mon admiration pour ces femmes et hommes qui ont toujours porté ce combat, pour ce travail formidable, humain, solidaire .Cependant il ne faut pas se reposer sur ses lauriers, soyez vigilants-es et réagissez à toutes les idées réactionnaires et rétrogrades. Contre les violences, la meilleure arme, c’est la Parole et l’Action.